En agriculture, l’analyse du sol est primordial pour améliorer le rendement.

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Sekou Sinayo, agro économiste de 24 ans a étudié à l’Université Hassan 2 du Maroc. Spécialisé dans l’analyse des sols, il est revenu en Guinée pour faire l’agriculture.

 Il exploite un domaine à Tougnifilly à Boffa. Pour lui, l’Etat doit subventionner l’analyse des sols qui est primordial pour la réussite de l’agriculture. Sekou Sinayo a accordé une interview à www.agriguinee.net ”La voix du paysan”. Lisez!

www.agriguinee.netBonjour Monsieur SEKOU SINAYO, vous êtes ingénieur agro économiste, titulaire d’un diplôme ingénieur de développement économique et social et lauréat de l’institut agronomique et vétérinaire Hassan 2 de Rabat au Maroc. Pouvez-vous revenir pour nos lecteurs sur votre parcours?

Sekou Sinayo: Bonjour, tout d’abord merci à www.agriguinee.net “La Voix du paysan” de me donner l’opportunité de m’exprimer sur ce que je fais dans le secteur agricole. Tout d’abord je vous dirai qu’au bac, j’ai été 6 -ème de la République, j’ai obtenu une bourse pour les études supérieures au Maroc. Je me suis orienté en agronomie à l’Année Préparatoire des Etudes Supérieures pour l’Agronomie APESA. Après le concours, je me suis orienté à l’IAV, (l’institut agronomique et vétérinaire) Hassan 2 à Rabat où j’ai fait des études plus approfondies en agronomie. Après trois ans, je me suis spécialisé en agro économie. C’est ainsi que j’ai choisi le thème “l’Impact d’un investissement agricole sur l’économie nationale en Guinée”. Et je suis venu en Guinée pour faire des recherches et j’ai soutenu en 2014. Et après, j’ai travaillé avec un laboratoire d’agriculture Marocain qui m’a envoyé en Guinée pour évaluer les potentialités du marché en ce qui concerne les analyses du sol. Une fois en Guinée, j’ai prélevé une centaine d’échantillons du sol de Kindia à Lola qui ont été analysés au laboratoire Casablanca. Nous avons eu plusieurs résultats concernant le sol guinéen.

www.agriguinee.netQu’est-ce que ces analyses du sol Guinéen ont donné comme résultat?

Sekou Sinayo: Premièrement, les analyses ont révélé que les sols sont très acides, les PH sont compris entre 4 et 5,5 donc, l’acidité est trop élevée compte tenu de la faiblesse du PH . Ce qui a des conséquences sur l’agriculture parce que l’assimilation des éléments majeurs qui sont l’Azote, le phosphore et le potassium est bloquée. Pour remédier à cela, il faut faire un chaulage. La chaux vive CAO, lorsque vous le mettez en contact avec l’eau, ça donne le CA (OH) x 2, donc ça devient un composé basique. Ce qu’il faut apporter au sol pour essayer d’augmenter le PH pour l’amener vers la neutralité, c’est-à-dire vers 7. Une fois que le sol atteint sa neutralité, ça peut favoriser l’assimilation de ses éléments. Donc, ce problème de PH est un des problèmes que nous avons trouvé au niveau des sols guinéens. A cela s’ajoute l’infertilité des sols guinéens. Contrairement aux idées reçues, les sols guinéens ne sont pas du tout fertiles, ce sont des sols qui sont très pauvres. Une pauvreté qui s’explique par l’excès de la pluviométrie qui lessive les éléments et favorise l’excès du fer, de l’aluminium. Mais pour le savoir, il faut faire l’analyse du sol. C’était l’objectif de notre mission en Guinée. En Afrique en général et en Guinée en particulier a l’habitude de faire l’agriculture sans analyse du sol. Si on ne connait pas le sol, on ne peut avoir le rendement escompté en agriculture. Lors de notre mission, on n’a pas eu de gens qui veulent faire analyser le sol où ils font l’agriculture, prétextant que c’est trop cher. Ce qui est peut-être vrai, puisque pour analyser un échantillon au Maroc, il faut 100 dollars et cela n’intègre pas le transport.

www.agriguinee.netLors de votre mission, quel a été le niveau d’implication de la Direction du Service National des Sols?

Sekou Sinayo: Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le Directeur du SANASOL, qui a mis tous ses cadres à notre disposition. Mais, le directeur nous avait prévenu dès au départ que les agriculteurs guinéens n’intéressent pas à l’analyse puisque ça implique des coûts. Il nous a expliqué que l’ACP avait procédé à l’analyse des sols avec sa direction, il y avait de l’engouement chez les paysans, mais dès qu’il était question de payer de l’argent, les paysans se sont retirés.

Alors, les paysans guinéens sont avertis que le sol n’est pas en état d’apporter le rendement escompté!

Sekou Sinayo: On ne va pas dire que tout le monde est informé, mais presque la majorité l’est. Maintenant ce qu’il faut, c’est une campagne de sensibilisation sur l’importance de l’analyse du sol. Ce qui permet d’aller vers une agriculture de précision. En Guinée, malheureusement, on n’a pas encore cette culture. Et l’Etat aussi n’a pas pris ses responsabilités. Si je prends l’exemple du Maroc, les analyses de sol sont subventionnées à 50 pour cent par le gouvernement. En Guinée, on préfère subventionner les intrants. Pourtant, les engrais qui viennent ne répondent pas aux exigences des sols Guinéens. Pour moi, Il faut plutôt subventionner les analyses du sol, aider le SENASOL à mieux s’équiper pour avoir des réactifs et faire sortir plusieurs paramètres pour identifier les oligoéléments, le taux de calcaire…et les proposer aux agriculteurs. Ici, il n’y a pas de réactifs au niveau du service national des sols.

Entre analyser les sols et distribuer des intrants, le premier devrait donc être la priorité du gouvernement pour la subvention!

Sekou Sinayo: Moi je préfère qu’on favorise les analyses du sol. Parce que si on ne connait pas le sol, je me demande pourquoi on produit parce qu’il faut d’abord savoir la vocation d’un sol. Il y a des cartographies qu’il faut réaliser pour faire ressortir la vocation d’une parcelle. Vous avez cent hectares, vous amenez à l’analyse un échantillon pour faire l’analyse physico-chimique pour voir le niveau de fertilité de votre sol et recommander les engrais qu’il faut utiliser. Parfois même, quand vous faites ces analyses du sol, on peut vous dire de ne pas utiliser d’engrais ou de matières organiques. Je prends l’exemple sur moi, quand j’ai fait l’analyse de mon sol, on me dit que le taux de matières organiques est excessivement élevé, de ne pas apporter de fuyantes ou de bouses de vache, donc ça constitue une économie! Tout excès est nuisible. J’ai vu le bon résultat. La carte de vocation vous permet donc de savoir quelle est la partie de votre sol qui est plus adaptée à la culture du maïs, de l’arachide, de l’igname, etc.

L’analyse du sol doit être une priorité pour les paysans, pour l’Etat qui subventionne, mais quelles sont les autres priorités auxquelles il faut faire face rapidement?

Sekou Sinayo: L’autre problème des paysans guinéens, c’est leur manque de professionnalisme dans le secteur. Il faut donc former les agriculteurs qui sont très passionnés de leur métier et il faut les rajeunir puisque c’est eux, en fait, qui décident de la sécurité alimentaire de la Guinée. On forme les jeunes sortants des ENAE, de L’ISAV de Faranah, on les professionnalise et on fait de telle sorte qu’ils aiment leur profession, ça va aider l’agriculture. Aujourd’hui, l’agriculture a tendance à être le dernier choix des étudiants. Ce qui est un sérieux problème.

Après vos études et l’analyse des sols en Guinée, vous avez décidé de vous lancer dans l’agriculture, vous exploitez un domaine à Boffa par exemple. Comment ça se passe?

Sekou Sinayo: Effectivement, compte tenu des solutions que j’ai trouvées, je me suis dit que je peux bien réussir dans l’agriculture en Guinée. Et surtout donner l’exemple aux paysans. Il ne sert à rien d’orienter les gens dans un métier si on ne le pratique pas. Il faudrait qu’ils voient l’exemple sur toi. J’ai d’abord été consultant, ce qui m’a permis d’avoir des fonds pour être indépendant. J’ai des domaines à Boffa, dans la sous-préfecture de Tougnifilly, où je fais le maraîchage. Je suis à ma 2 ème année d’expérience et j’ai eu de bons résultats déjà qui me permettent d’agrandir chaque année mon champs. J’ai commencé par ¼ d’hectare. Je vise 15 hectares. J’ai commencé donc par l’analyse du sol et j’ai acheté des engrais adaptés pour respecter en fait, le programme de fertilisation du sol qui m’est imposé par les résultats de l’analyse du sol. Parce que, l’un des problèmes à signaler dans le secteur agricole, c’est qu’il n’y a que deux types d’engrais qui sont importés en Guinée. Les engrais composés, le triple 15, le triple 17 ou l’urée. Si vous analysez votre sol, on va vous recommander des types d’engrais qui n’existent pas chez nous, vous serez obligé d’aller en chercher au Sénégal ou ailleurs.

L’autre problème que vous rencontrez sur le terrain c’est le manque de main d’œuvre!

Sekou Sinayo: Nous sommes tous les temps confrontés à ce manque de main d’œuvre notamment à Boffa qui est une zone économique spéciale aujourd’hui avec la présence des sociétés minières. Et il y a le port de pêche de Koukoudé qui attire les jeunes qui gagnent facilement l’argent avec les miniers et au port de pêche. Ils s’éloignent de l’agriculture. Ceux qui viennent dans l’agriculture le font par nécessité et c’est juste pour avoir parfois de l’argent pour aller à un marché hebdomadaire ou passer un samedi par exemple. Après, vous ne les revoyez plus. Donc, la main d’œuvre est très rare et alors très chère. Moi j’ai recruté trois ouvriers à Conakry, que je loge, nourris et que je paye chaque mois.

Vous avez fait vos études dans une prestigieuse université marocaine, l’université Hassan 2, mais vous avez décidé de revenir en Guinée pour vous lancez dans l’agriculture. D’autres jeunes ont surement préféré partir en Europe ou en tout cas faire autre chose que l’agriculture. Comment voyez-vous ces jeunes?

Sekou Sinayo: Bon, certains sont allés au Maroc étudier, mais ils n’ont pas fait les mêmes filières que moi, ou ils n’ont pas la passion de faire l’agriculture. D’autres n’ont pas eu le réflexe de rentrer pour se mettre au service de la Guinée. Bref, il y a plusieurs explications à cela. Mais en tant qu’ancien boursier, l’appel que j’ai à lancer à ces jeunes-là, c’est de leur dire qu’il est possible de réaliser en Guinée à travers l’agriculture. Et ces boursiers doivent servir leur pays en guise de reconnaissance. Et puis, l’agriculture peut aider à lutter contre l’immigration clandestine. Si l’argent que les candidats à l’immigration dépensent, s’ils l’investissent sur 1 hectare par exemple, ils peuvent vivre comme des petits seigneurs en Guinée. Après, ils peuvent aller passer des vacances partout dans le monde.

J’ai trois employés pour le moment qui apprennent par la même occasion le métier, le désherbage, le binage, l’application des engrais,… nous contribuons à la réduction du chômage et nous sommes surs que si d’autres agriculteurs font la même chose que nous, le chômage va diminuer à travers l’agriculture.

Nous, en 2 ans, nous avons obtenu de bons résultats.

Mes besoins pour l’exploitation du moringa c’est d’abord le matériel pour la transformation de la feuille en poudre et les emballages. L’objectif c’est de créer une marque, un label purement guinéen pour la commercialisation à l’échelle nationale et international.

Vous êtes dans un joli costume comme un diplomate, pas comme un paysan dit-on parfois en Guinée, puisqu’ici on considère que le paysan ,c’est un pauvre qui n’a pas les moyens. Votre réaction?

Çà c’est en fait des idées reçues en Guinée. Sinon, dans les autres pays, ce sont les agriculteurs qui sont les plus riches, les plus respectés. L’économie repose sur ceux-là. En Guinée on les considère comme des bons à rien, ce qui fait que jusqu’à présent on peine à aller de l’avant.

Si on vous demande de proposer des solutions pour développer l’agriculture, qu’allez-vous prioriser?

Pour moi, la baisse du prix des intrants est primordiale, l’engrais coûte très cher et n’est donc pas à la portée de tout le monde bien que l’Etat les subventionne,

Il faut aussi trouver des produits adaptés pour lutter de façon efficace contre les maladies, les champignons, les bactéries et les insectes qui fatiguent les producteurs,

L’autre problème primordial des agriculteurs en Guinée, c’est la non maîtrise de l’eau sur toute l’année, il faut là aussi trouver des solutions.

Mais la base de tout, c’est la connaissance du sol. L’Etat doit subventionner l’analyse des sols pour les paysans.

Merci Monsieur Sekou Sinayo!

C’est moi qui vous remercie www.agriguinee.net pour tout ce que vous faites pour la promotion du secteur agricole en Guinée.

Interview réalisée par www.agriguinee.net

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